L'odyssée

Ma tête est lourde,
Les souvenirs m’assaillent ;
Ils sont plein de fantômes ;
Il luit, des images disparates et lointaines.

Des éclairs qui fracassent le silence,
Des nuages qui allument le ciel d’une brillance brune,
De l’eau qui reflète la perspective
Et l’horizon qui tangue.

Je sens la mer et les embruns de l’océan ;
Le vent qui souffle en rafale ;
Mon corps trempé jusqu’aux os ;
Mon canot qui prend l’eau.

J’écope ;
Auprès de moi gisent deux amis canoteurs ;
Ils paraissent sans vie ;
J’ai peur.

Je sais
Que la mort nous regarde, à chaque instant ;
Déjà, plein d’amis sont partis pendant la guerre ;
Non ! Non ! et l’univers qui gronde !

Notre vie qui s’en va à vau-l’eau à la pêche à Miquelon ;
Je les secoue en retenant mon souffle et ma crainte ;
Ils respirent faiblement ;
J’exulte, ha !

J’en suis fort aise ;
Pourtant, je pleure,
Je ne peux davantage réprimer mes larmes ;
Je suis à bout, tétanisé et las.

On dérive sans but
Sur un rafiot qui balance tumultueusement sur une mer pélagique ;
Combien de temps encore endurerons-nous l’orage ?
Combien de lune encore durera cet enfer ?

Enfin, le ciel s’éclaire d’un arc-en-ciel de lumière,
Lequel me pare de couleurs ;
Je reprends vie,
Je ranime mes compagnons toujours groggy.

Ils se réveillent perdus au milieu de la vaste bleue ;
En état d’hébétude, ils ont les yeux hagards ;
En plus, ils meurent de faim ;
Je les console.

Je joue le fier-à-bras ;
Je leur passe de l’eau, un morceau de pain rassis,
Tout ce que j’ai pu extirper du chaos,
Puis, leur dresse sans fard le tableau noir de la situation.

On ne va pas mourir demain !
Mais, rester en vie deviendra difficile, de plus en plus,
Si on regarde nos maigres vivres ;
Et puis on en a marre, moralement et physiquement.

Dans les airs, j’aperçois des oiseaux de morts ;
Ils volent en sifflotant gaiement en prévision de leur festin ;
Alors que dans l’eau, j’entends grésiller des créatures marines ;
J’ois même des voix.

En effet, je perçois des sons articulés, une succession de mots ;
Peut-être que mon esprit désespéré divague ;
C’est une voix chantante, velouteuse et charmeuse ;
Elle s’insinue dans mes enfers en investissant ma peur.

Jadis, j’ai écouté des marins, extravaguer, au retour de naufrage ;
Ils parlaient de Manman Dlo et d’esprit de la mer ;
D’ondines à la voix sulfureuse qui envoûtaient les naufragés ;
De démones qui leur offraient leur secours en échange de leur servitude.

D’autres encore ont parlé de sirènes à la peau noire et aux cheveux de jade ;
De créatures extravagantes qui habitaient l’océan,
D’un monde à nulle autre pareil, dissimulé aux yeux des hommes,
A l’instar d’un monde englouti, peuplé de monts et merveilles.

Alors, me sentant défaillir, j’implore le ciel ;
Je lui demande de m’insuffler encore, un peu d’allant ;
Je m’ancre par la vue à mes compères pour rester dans le réel ;
Je fournis plein d’effort pour maintenir l’espérance, à flot, au fond du canot.

Et puis, le jour s’efface tout d’un coup,
Comme si la nuit l’avait enfui dans le néant ;
Je me réveille le corps endolori à Paradis ;
Hors des enfers, je goûte au soleil lové sous une auréole fleurie.

Une voix belle rayonne en éclaboussant le silence ;
Elle s’enquière de mon portement ;
Je contemple une jolie sirène ;
Elle me regarde avec bonté, le visage écarlate.

J’oublie tout l’univers, tel Ulysse !
Mes compagnons de naufrage ont disparu de l’Odyssée ;
Je lui réponds
Que je vais divinement bien.

Après, mes camarades pénètrent dans la pièce ;
Ils sont contents de me voir rempli de vie ;
Ils me racontent notre sauvetage et notre entrance à Sainte-Lucie,
Alors que j’étais inconscient.

De cette mésaventure, je me souviens toujours ;
Tandis que je m’avance vers la nuit noire,
Je ne peux m’empêcher d’esquisser un infini sourire,
Mes frères de naufrage, je vais vous revoir enfin.

c'est étrange,
ta poésie oscille entre la prose et la poésie,
comme on oscille entre le rêve (ou le cauchemar),
la fantasmagorie et le réel
c'est un trip halluciné, une odyssée marine
qui résonne comme les hauts fonds,
un abîme de sensations
je suis impressionné de ton habileté poétique, Sélène !
et puis, soudain, ce retour au réel et l 'amour lové au visage de sirène,
les affres du souvenir ne nous délivrent pas d adieux !
merci de ce partage